Parmi la cinquantaine de commémorations officielles prévues en 2023, notons, entre le millénaire du Mont Saint-Michel et le 400eme anniversaire de la naissance de Pascal, le bicentenaire de la parution de ce classique de la littérature agronomique : "La chimie appliquée à l'agriculture", de Jean Antoine Chaptal (1756-1832). Médecin, chimiste, homme politique (il sera ministre de l'Intérieur sous Napoléon Bonaparte), agriculteur et industriel, Chaptal avait donné son nom à ce procédé qui permet d'augmenter la teneur en alcool des vins par le sucrage, la chaptalisation. Mais à l'époque, la chimie n'en est qu'à ses balbutiements. Bon nombre d'agronomes ne croient qu'en la théorie de l'humus. Et Chaptal s'inquiète de cette agriculture routinière : "Dans cet état de misère et d'avilissement, écrit-il, l'agriculteur suivait aveuglément la routine qui lui était tracée. Sans émulation, sans lumières et presque sans intérêt, la pensée d'améliorer ses cultures ne se présentait pas à son esprit." Si bien que la chimie agricole ne prendra vraiment son essor qu'à partir de 1840, lorsque le chimiste allemand Justin Liebig définira les lois de la fertilisation. Mais longtemps, l'on se contentera d'importer du guano (fientes des oiseaux marins) du Pérou. Ce n'est qu'après la guerre de 1870 que se créent en France les premières usines de phosphates et de scories, dont le développement ne se fera qu'entre les deux guerres, avec la découverte de gisements de phosphates en Afrique et la création des superphosphates, puis l'ouverture des mines de potasses d'Alsace. Par la suite, l'agriculture connaîtra un développement considérable. Aujourd'hui, le contexte a changé, le défi énergétique et la transition environnementale obligent à se détacher, au moins partiellement de la chimie, avec une agronomie qui renoue avec ses fondamentaux, au point qu'un Chaptal contemporain pourrait écrire l'agriculture appliquée à la chimie verte...
La grande Halle de la Villette, à Paris, accueille actuellement 182 trésors de Ramsès II, le plus célèbre pharaon d'Égypte qui règnera pendant soixante-six ans, de 1279 à 1213 avant notre ère. Pharaon bâtisseur, on lui doit le temple d'Abou Simbel. Il a été aussi à l'origine de la construction d'impressionnants canaux, en un temps où l'agriculture était le fondement de l'économie égyptienne, grâce à la crue annuelle du Nil qui déposait sur ces terres arides de riches alluvions. "L'Egypte est un don du Nil", écrira Hérodote, et la crue annuelle découpera l'année en trois saisons, avec l'inondation de mi-juillet à mi-novembre, puis la germination jusqu'à mi-avril et enfin la saison des récoltes. Dès le deuxième millénaire avant notre ère, des travaux hydrauliques vont être mis en place, avec des techniques venant des Sumériens : canaux d'irrigation, fosses de drainage. Déjà à l'époque de Ramsès II, les scribes (fonctionnaires) veillaient à ce que l'eau ne soit pas gaspillée et s'assuraient que les canaux soient bien entretenus. Ce qui permettra de produire en abondance durant l'Égypte antique : le blé et l'orge pour la fabrication du pain et de la bière (Ramsès II est aussi appelé le pharaon brasseur !), le pois chiche, la lentille, la laitue, l'oignon, le sésame, le papyrus, le lin et le pavot à opium... Pendant des millénaires, l'agriculture demeurera le fondement de l'économie égyptienne. Après son annexion par Rome, l'Egypte sera l'un des greniers à blé de l'Empire Romain. Aujourd'hui, l'agriculture de ce pays de 104 millions d'habitants, qui emploie 30% de la population active, est confrontée à de nombreux défis, dont sa dépendance aux importations agroalimentaires mais, surtout, le défi de l'eau, lié au contexte géopolitique du Nil. 95% des cultures sont irriguées et les terres cultivables sont concentrées sur 4% du territoire.
Pour la première fois cette année, nous avons testé, à Groboz, l'absence de séparation des juments et de leurs poulains. Cela veut dire que la jument vit avec son poulain qui vient de naître et avec son poulain de l'année précédente. C'est vrai que nous parvenons finalement à toujours obtenir ce que l'on veut d'un cheval... alors, me direz vous, pourquoi remettre en cause notre confort et nos habitudes d'élevage ?! Et si de nouvelles méthodes d'élevages permettaient au cheval d'acquérir davantage d'autonomie ?! grâce à des codes qu'il aurait lui-même eu le loisir d'explorer naturellement en groupe. Cela ne nous procurerait il pas un plus grand potentiel de complicité dans nos activités partagées avec le cheval ?! Nafissa est née le 24 février, le lendemain Pier, son père, a chassé violemment du groupe Majda, sa soeur de l'année précédente. Pendant une journée entière, avec courage Madja a tenu tête à son père pour rester au sein du groupe. Plusieurs fois j'ai failli moi-même céder au désir de mettre en sécurité Madja dans un autre groupe de chevaux. Vendredi dernier, j'ai assisté à une scène cocasse. Alors que le groupe, changeait de prairie, Nafissa âgée de deux semaines, n'a pu franchir un fossé. Badhia sa mère est restée auprès d'elle de l'autre coté du fossé, mais aussi Majda sa sœur de l'année précédente. Plus troublant encore, fût le moment où Majda décida de prendre l'autre chemin, plus long, mais avec un pont sur le fossé... au petit trop, avec sa sœur et sa mère qui lui ont emboité le pas...
Nous avons évoqué le mois dernier dans cette colonne, le sevrage et la pratique que l’on en fait dans la plupart des élevages de chevaux. Avec généralement un sevrage brutal, c’est-à-dire une séparation totale de la jument et de son poulain. Sans doute pour des raisons pratiques, en accordant peu de cas aux troubles que cela risque d’occasionner pour le poulain dans sa vie future. A Groboz, cette année, nous avons franchi une étape supplémentaire vers cet idéal de cheval qui conserve les codes qu’il a acquis au cours de plusieurs millénaires… Nous avons privé les poulains uniquement de la tétée, d’abord une heure, puis deux, puis une demi-journée ? Pour finir par les séparer durant une semaine, soit la durée pour que la jument se tarisse naturellement de son lait… Qu’avons-nous constaté ? aucun stress, aucun appel, juste des échanges de regards furtifs… Cette façon de faire aura-t-elle des conséquences sur l’avenir du cheval ? en tous cas, nos choix d’élevage ne méritent-ils pas que l’on se pose la question ?
Au sein des élevages, le sevrage des poulains a généralement lieu vers l’âge de 5 à 7 mois, soit beaucoup plus tôt que dans la nature. Une étude récente a démontré que plusieurs mois après cette séparation artificielle, les poulains restent particulièrement attachés à leur mère et qu’il serait donc judicieux de repenser les pratiques de sevrage. Explications : Alimentation, nourriture, hébergement,… Les conditions de vie des chevaux à l’état domestique diffèrent beaucoup de celles dans la nature. Il en va de même pour le sevrage des poulains : dans les élevages, ceux-ci sont généralement séparés de leur mère entre 5 et 7 mois, alors que dans la nature ils tètent jusqu’à 9 mois et conservent un lien avec leur maman jusqu’à l’âge de 1,5 ou 2,5 ans. Ce décalage important a interpellé un groupe de chercheurs français et les a amenés à se poser plusieurs questions : Les poulains reconnaissent-ils encore leur mère parmi d’autres juments familières plusieurs mois après le sevrage ? La préférence pour la mère est-elle plus marquée chez les poulains ou les pouliches ? Pour répondre à ces interrogations, les chercheurs ont eu recours à une expérimentation impliquant 15 pouliches et 19 poulains sevrés à l’âge de 7 mois. Ces jeunes chevaux n’ont ensuite plus eu l’occasion d’interagir visuellement ou vocalement avec leurs mères durant 5 mois. Après cette période, soit à l’âge de 1 an, les poulains et pouliches ont été mis au paddock en présence de deux chevaux connus : leur mère et une autre poulinière faisant partie du groupe dans lequel ils ont grandi. Concrètement, ces juments étaient placées dans des enclos contigus mais bien distincts et étaient attachées de sorte à toujours faire face aux poulains. Ceux-ci pouvaient par contre se déplacer librement et entrer en contact avec la ou les juments de leur choix au travers des barrières. Le test a duré 3 minutes et les poulains étaient observés par des caméras. Les chercheurs ont notamment étudié quelle jument était approchée en premier, quels étaient les regards et interactions (reniflement, vocalisations,…) ou encore combien de temps les poulains restaient dans les « zones de contact », soit à moins de 3 mètres de chacune des juments. Ils ont remarqué très peu de comportements vocaux de la part des mères comme des poulains, par contre ces tests ont permis plusieurs observations intéressantes : Trois quarts des poulains (mâles et femelles) se sont dirigés en premier vers leur mère. Les jeunes chevaux reniflaient leur mère plus longtemps que l’autre jument et avaient tendance à la regarder plus souvent. Par rapport aux poulains, les pouliches ont passé plus de temps à proximité des deux juments et avaient davantage d’interactions avec elles (regards plus fréquents, reniflements plus longs). Un lien mère-poulain qui perdure Comme l’expliquent les chercheurs, les résultats de ce test confirment que non seulement les poulains sevrés « artificiellement » se souviennent de leur mère 5 mois après la séparation, mais en plus ils préfèrent celle-ci à une autre jument connue. « Cela montre que les chevaux ont des souvenirs à long terme de leurs congénères et suggère que, malgré la séparation, le lien jument-poulain reste fort, en particulier chez les pouliches », soulignent les scientifiques. L’attachement plus marqué des pouliches à leur mère mais aussi aux juments familières confirme d’autres études. Il pourrait s’expliquer par le fait qu’après la saison de reproduction, les juments sauvages ont tendance à continuer leur vie avec les femelles de leur groupe alors que les jeunes étalons se rassemblent en troupeau de même sexe et ont donc moins d’intérêt à rester près de leur mère. Poulains ou pouliches restent cependant attachés à leur mère jusqu’à un certain âge, même en cas de sevrage « naturel », c’est-à-dire non provoqué par l’homme. Des études ont en effet démontré que le lien jument-poulain pouvait même perdurer après la naissance d’un frère ou d’une sœur. « Le fait que les poulains manifestent encore une préférence pour leur mère, même après plusieurs mois de séparation, remet en cause la pratique du sevrage artificiel, généralement réalisé à l’âge de 5-7 mois et réputé stressant », selon les scientifiques. Laisser vivre les poulains avec des congénères de même sexe et de même âge ne serait en effet pas suffisant, les jeunes chevaux ayant aussi besoin du soutien social de leur mère et des autres adultes de leur groupe familier. Changer complètement les pratiques de sevrage ? Cette expérimentation française n’est évidemment pas la seule à remettre en cause le sevrage à l’âge de 5-7 mois, qui a surtout été instauré dans les élevages pour des raisons pratiques et économiques : manipulation et vente plus rapide du poulain, remise au travail de la jument et gestion plus facile de son état, etc. En contrepartie de ces avantages, la séparation brutale de sa mère est généralement un moment très stressant pour le poulain, qui peut engendrer une perte d’état physique ou encore l’apparition de tics. Pour atténuer ces effets négatifs, à Groboz, nous optons pour des méthodes douces, comme par exemple la séparation progressive de la mère durant quelques minutes à quelques heures par jour, et ce jusqu’au sevrage « définitif ». D’autres techniques vont être testées à l'avenir comme enlever une par une les mères au sein du troupeau, ou encore à séparer les mères des poulains à l’aide d’une clôture pour ne pas interrompre trop brusquement les possibilités de contacts entre eux. La méthode la moins stressante reste cependant celle du sevrage spontané, c’est-à-dire sans intervention de l’homme. Retrouvez ici l’ensemble de l’étude réalisée par Léa Lansade, Frédéric Lévy, Céline Parias, Fabrice Reigner et Aleksandra Górecka-Bruzda : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1751731122001938?via%3Dihub#b0075
Régulièrement, des propositions de loi visant la suppression de la corrida surgissent. Cette fois-ci, c'est le député de La France Insoumise Aymeric Caron qui voulait supprimer la corrida sur tout le territoire national, sans exception. Or l'article 521-1 du code pénal qui punit déjà la maltraitance animal, précise que ces dispositions ne sont pas applicables aux courses de taureaux "lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut-être invoquée". Cette exception bénéficie à 56 territoires situés en Provence-Alpes-Côte d'Azur, Occitanie et Nouvelle Aquitaine. Un millier de taureaux serait mis à mort au cours de 100 à 200 corridas, des chiffres en baisse. Aux yeux de ses opposants, la corrida est une "barbarie", une "torture", un "plaisir immoral" où l'animal est "massacré". Ils soulignent que plusieurs pays d'Amérique latine mais aussi quelques régions européennes y ont renoncé. Et remarquent que près de huit Français sur dix y seraient opposés. De leur coté, les défenseurs de la corrida parlent d'un "art", de "culture populaire". Ils rappellent les milliers d'hectares de terres sanctuarisées", grâce à l'élevage extensif de ces taureaux sauvages qui vivent au moins quatre ans de totale liberté. Cette interdiction de la corrida nierait l'identité des territoires dont on effacerait la diversité. Ces arguments plus complexes peinent néanmoins à être entendus dans un monde de plus en plus binaire, partagé entre un arbitraire "pour" ou "contre". Alors art ou barbarie ? Finalement, le débat parlementaire n'a pas eu lieu, englouti par le flot d'amendements hostiles déposés par les députés de presque tous les bords politiques. En région, la présidente socialiste de l'Occitanie suggérait "de laisser le chois d'y aller ou pas". Un argument difficiles à entendre pour le médiatique député antispéciste qui a promis de poursuivre sa croisade. Après la corrida, quel élevage ou pratique seront visés par l'interdit du jour ?
Dans le flot des mauvaises nouvelles dont les médias nous abreuvent, il est parfois des éclairs d'espérance qui nous regonflent le moral. C'était le cas, la semaine passée, au cours de la matinale de France Inter, avec l'interview du professeur Didier Pittet, épidémiologiste à l'hôpital de Genève, qui venait de recevoir la Légion d'honneur. Avec son collègue William Griffith, lui aussi Suisse, il a créé en 1995 le gel hydroalcoolique. Partant du constat qu'à l'époque, un soignant en service de réanimation devait se laver les mains vingt-deux fois par heure, y consacrant à chaque fois une minute et demie (soit au total une demi-heure), ces deux découvreurs inventèrent une solution à la fois efficace et protectrice des mains. Après le succès de l'expérimentation à l'hôpital de Genève, son utilisation se généralisera , d'autant qu'ils cédèrent cette découverte à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), empêchant sa privatisation et rendant cette innovation, qui plus est peu onéreuse, totalement libre d'accès dans le monde. Avec la Covid, ils auraient pu devenir milliardaires... Une forme d'altruisme qui montre combien la santé devrait devenir un commun et échapper ainsi à la marchandisation. C'est en partie la thèse de Gaël Giraud, docteur en mathématiques, économiste et piètre jésuite, entendu la veille au cours d'une conférence organisée par "L'Obs". Dans son livre, Edité par le Seuil, "Composer un monde en commun. Une théologie politique de l'anthropocène" (que j'ai à peine commencé à lire, il fait 816 pages !), l'auteur imagine des institutions internationales capables de prendre soin de nos communs globaux (comme la santé, le climat, la biodiversité...) pour relever les défis monumentaux qui s'offrent à nous aujourd'hui. Gaël Giraud propose une gestion des communs dans une approche spiritualiste, contrecarrant les excès de la privatisation ou de l'étatisme. Mais pas besoin d'être croyant pour partager ou au moins s'intéresser à ce point de vue, qui a le mérite d'offrir une nouvelle grille de lecture face à la crise de la modernité occidentale.
Si écrire, c'est laisser une trace qui signifie quelque chose, alors l'écriture n'est pas l'apanage des seuls humains, pensait le philosophe Michel Serres. Vinviane Despret, philosophe des sciences et psychologue, proche du penseur Bruno Latour, récemment disparu, et passionnée d'éthologie (la science du comportement des animaux) le croit aussi. Dans de nombreux ouvrages, de Hans, le cheval qui savait compter à Autobiographie d'un poulpe, elle nous offre un autre regard sur la gente animale, loin des clichés sur leur supposée agressivité naturelle. Dans Et si les animaux écrivaient ?, texte d'une conférence(publiée par Bayard, dans sa collection Les petites conférences), elle nous décrit ces abeilles qui, par la danse, indiquent à leurs compagnes où trouver de la nourriture, ces rats qui, en se frottant sur les parois, cartographient et mémorisent leurs parcours, ces chiens qui déposent au pied des arbres et des réverbères des sortes de Post-it odorants qui donnent beaucoup d'informations, ces oiseaux qui chantent et dansent sur leur territoire comme pour délimiter de manière artistique, ou ces mammifères qui, tout en se cachant de peur de prédateurs, laissent des traces (branches arrachées, empreintes de pattes, choses déplacées...) pour dire : "Vous ne voyez pas, mais je suis là."Cela raconte quantité de choses, des humeurs, des passions, des signatures, mais aussi peut-être des histoires", reconnaît Vinciane Despret que nous, humains illettrés en écriture animale, ne savons pas décrypter. Depuis Konrad Lorenz et ses oies sauvages, le rapport à l'animal a bien changé et, pourtant, comme le note le Fonds mondial pour la nature - WWF la semaine passée, le déclin de la faune se poursuit au rythme d'un pour cent par an. Depuis 1970, oiseaux, amphibiens, reptiles, mammifères... ont perdu 69% de leur population dans le monde. Il y a soixante ans, presque jour pour jour, la biologiste marine américaine, Rachel Carlson, fille de paysans de Pennsylvanie, publiait Le Printemps silencieux, dénonçant la disparition de la faune animale.